Résumé
Hearst est une municipalité nord-ontarienne dont le visage démographique passe, entre 1922 et aujourd’hui, d’une communauté de travailleurs de chemins de fer anglophones ou issus de la grande migration transatlantique, à une communauté si francophone qu’on l’a surnommée le village gaulois de l’Ontario ou le «Petit Québec». Cette dernière dénomination n’est pas sans rappeler celle donnée aux paroisses de la Nouvelle-Angleterre où vivaient les travailleurs canadiens-français des manufactures et dont les membres se sont, depuis, anglicisés. Or, dans le cas de Hearst, c’est le français qui s’est affirmé de telle manière qu’il y règne, chez les parlants anglais, dont des descendants des ethnies fondatrices (Finlandais, Bulgares, Britanniques, Ukrainiens et Slovaques), un sentiment teinté de non-reconnaissance. Des luttes de pouvoir se manifestent sporadiquement dans certains lieux sociaux pour réaffirmer une identité «commune» – entendue comme nécessairement anglo-canadienne – alors qu’elle se vit, à Hearst, relativement en marge de (ou en porte à faux avec) la composante francophone devenue «majoritair ».
Ce fait d’une minorité linguistique majoritaire est on ne peut plus fascinant à étudier. Le centenaire de la ville (2022) s’est révélé à cet égard un intéressant laboratoire pour les historiennes que nous sommes. D’un côté comme de l’autre des tables de travail, les visions et les sensibilités mémorielles s’entrechoquaient. Au milieu de ce chantier de constructions mnémoniques, nous nous sommes engagées avec deux projets. C’est ce travail de commémoration délicat que nous proposons de relater.