Résumé
Au cours de l’été 1974, le psychiatre montréalais Roger R. Lemieux engageait, avec l’infirmière Lucille Angers, la psychologue Sylvie Chassin, et quelques «coopérants», les travaux de construction du bâtiment principal de l’Abri d’Érasme. Cette commune à ambition thérapeutique, installée sur un terrain boisé non loin de Sainte-Agathe-des-Monts, visait à accueillir des personnes diagnostiquées comme schizophrènes afin de leur offrir un accompagnement inédit, de nature psychothérapeutique et d’inspiration antipsychiatrique. Cette expérimentation de contre-culture psychiatrique, unique dans l’histoire du Québec et documentée dès sa création par le cinéaste Pierre Maheu (1939-1979), n’était jusqu’alors connue que par son film L’Interdit (1976) et par les récits mémoriels de son fondateur. Elle apparaissait ainsi comme un espace alternatif, en opposition avec l’espace psychiatrique traditionnel et en particulier avec l’université. Or, la découverte récente d’archives inédites nous offre aujourd’hui un tout autre regard sur ces événements. Loin d’être en totale rupture avec le monde psychiatrique universitaire, l’Abri d’Érasme entretenait au contraire avec lui des relations complexes et parfois plus instituées que conflictuelles. Plus encore, la place ambivalente que le savoir universitaire y jouait semble avoir contribué à modeler les relations de pouvoirs qui ont pu s’y établir, que ce soit entre les soignants (qui étaient également amants) ou entre le psychiatre et les «invitées» (pour l’essentiel des jeunes femmes) prises en charge. C’est ce que je me propose de démontrer dans cette communication qui s’appuiera notamment sur l’analyse des carnets psychanalytiques de Lemieux et des comptes-rendus de réunions de la commune retrouvés récemment sur les lieux.