Julien Prud’homme
Aux 19e et au 20e siècles, les États favorisent la création de monopoles professionnels, suivant le modèle posé par le Collège des médecins et le Barreau. Le Parlement québécois délègue des pouvoirs d’autorégulation à un nombre restreint, mais croissant, de professions réglementées. Le principal moyen est l’adoption de lois qui interdisent aux concurrents de ces professions d’accomplir certains gestes, dont l’extraction dentaire, la certification de documents, la vente de lunettes ou le soin des animaux.
Or, la rareté des « professionnels » qui circulent dans les campagnes, ou entre la campagne et la ville, fait débat. L’interdiction de consulter un « rebouteux » n’affecte-t-elle pas davantage la population rurale que celle des villes? Le cultivateur devra-t-il parcourir de longues distances pour acheter de l’iode, solliciter un vétérinaire, ferrer son cheval? À qui achètera-t-il une police d’assurance?
Un corpus de débats parlementaires tenus de 1882 à 1964 fait voir l’évolution des polémiques sur cet accès géographiquement différencié à l’expertise. Au début, c’est l’obligation de recourir au professionnel qui est perçue comme superflue et liberticide; par la suite, c’est le manque d’accès au professionnel, jugé désormais nécessaire, qui semble injuste. Ce renversement discursif survient vers 1920 mais le moment varie selon qu’on parle de santé humaine ou animale, de services juridiques ou de sécurité. Notre étude établit des repères utiles pour élargir dans le futur l’analyse de ce conflit entre villes et « régions » au sujet des services experts, vus comme une intrusion avant de devenir un besoin.