Résumé
Marc-Antoine Bouchard-Racine
Louis Babel, missionnaire oblat de Marie-Immaculée, explore l’intérieur du Labrador entre 1866 et 1870 afin de rencontrer les Naskapis sur leur territoire dans le but de les évangéliser. Au terme de ses voyages de mission, il réalise une carte du territoire parcouru, confectionnée à partir de plus de 80 croquis tracés lors de ses explorations. Contribuant à noircir en partie un espace jusqu’alors perçu comme terra incognita par le monde occidental, cette carte circule rapidement hors de ses mains et est publiée en 1873 par le département des Terres de la Couronne du Québec. Résultat de la traduction et de l’accaparement des savoirs géographiques des Innus et des Naskapis, la publication de la carte du père Babel vient insérer ces connaissances dans le cadre d’un régime épistémologique occidental.
S’adaptant au nomadisme pour accomplir sa mission civilisatrice, le missionnaire voyage dans le nutshimit (l’intérieur des terres); la volonté d’acquérir une meilleure autonomie et d’améliorer sa mobilité sur le territoire vont motiver la cartographie du chemin parcouru. Je propose dans cette communication de présenter le contexte et les moyens de production de la carte du père Babel, ainsi que la portée qu’elle connaît dans les sphères ecclésiastique et politique du pouvoir colonial. Car en permettant aux États canadien et québécois de se projeter sur le territoire et d’y revendiquer leur autorité, cette carte annonce et prépare le colonialisme d’exploitation qui se déploiera au Labrador au cours du siècle suivant.