Résumé
En 2021, Kanikuen, doyen de la communauté innue d’Unamen Shipu, me montrait la forme d’écriture que les Innus utilisaient pour laisser des messages sur des écorces dans les chemins de portage. Mon interlocuteur m’expliquait alors que ce sont des missionnaires qui avaient initialement appris aux Innus à écrire, mais que ce savoir a continué de se transmettre sans intervention extérieure. Pourtant, le système orthographique utilisé par Kanikuen est particulier en ce qu’il ne correspond à aucune convention écrite missionnaire. Les anthropologues et les historiens qui se sont intéressés à la Basse-Côte-Nord ont toujours pensé que l’écriture et le catholicisme s’étaient véritablement implantés avec l’arrivée des Oblats au milieu du 19e siècle. Une révision de cette trame historique m’amène à proposer que cette région ait été sous la sphère d’influence des missions jésuites depuis environ le milieu du 17e siècle. De la même manière, l’écriture s’y serait diffusée à la suite des travaux d’alphabétisation du jésuite Jean-Baptiste de La Brosse dans la deuxième moitié du 18e siècle, lui qui n’a pourtant jamais mis les pieds en Basse-Côte-Nord. Les registres de l’époque montrent qu’une poignée d’individus de la Basse-Côte-Nord ont appris à écrire à la mission de Sept-Îles et qu’ils auraient pu diffuser cette technique dans la région. Certaines particularités du système orthographique utilisé par le jésuite laissent penser qu’il pourrait avoir été à l’origine de l’écriture utilisée plus de 200 ans plus tard par Kanikuen et que, pendant cette longue période, les Innus l’auraient adapté pour développer leurs propres conventions.