Résumé
Dans les années 1860, lorsque les élites politiques des colonies britanniques nord-américaines discutent entre elles d’un projet d’union, la question de la dualité est au cœur des préoccupations et le sort des minorités fait l’objet de multiples discussions. Des politiciens comme Hector-Louis Langevin, George-Étienne Cartier et Joseph-Édouard Cauchon s’élèvent dans la sphère publique pour se faire la voix des Canadiens français et en défendre les intérêts. Pourtant, entre les murs de leur salon, ceux-ci vantent les mérites de l’Angleterre et nouent des amitiés avec de nombreux anglophones. Certains vont même jusqu’à s’allier avec des femmes issues d’un mariage mixte. Si la dualité peut prendre des formes violentes au sein des classes populaires comme en témoignent entre autres l’incendie du parlement de Montréal (1849), l’affaire Gavazzi (1853) et l’affaire Louis Mailloux (1875), elle s’exprime de manière plus subtile et complexe dans les classes les plus aisées.
La dualité entre anglophones et francophones est donc beaucoup plus nuancée au sein des élites que ne l’affirment l’historiographie et les élites elles-mêmes dans leurs discours. Afin de le démontrer, j’analyserai les relations et les prises de position des 20 ministres francophones ayant siégé à Ottawa des lendemains de la Confédération à l’élection du Parti libéral sous la gouverne de Wilfrid Laurier en 1896. En confrontant sources privées (correspondance, journaux, intimes, etc.) et publiques (articles de presse, débats parlementaires, etc.), je serai à même de montrer toute l’ambiguïté avec laquelle s’exprime cette dualité au sein de ceux qui sont pourtant les porte-paroles de la minorité franco-catholique dans la Confédération.