Résumé
Au cours des vingt dernières années, j’ai suivi de près la façon dont la « zone de contact » est commémorée au Québec et au Canada français. J’ai commencé à m’intéresser à cette question dans le cadre de ma recherche doctorale sur les célébrations du 400e anniversaire du Québec en 2008, où les efforts performatifs visant à transformer le sujet québécois en sujet autochtone ont été mis en évidence. J’étais loin de me douter qu’au même moment les Franco-descendant.e.s des provinces de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et même de la Nouvelle-Angleterre proclamaient de plus en plus qu’ils étaient les véritables peuples autochtones de ces terres. Dans la quasi-totalité des cas, ces Franco-descendant.e.s s’appuient sur une revendication ancestrale datant des années 1600, le plus souvent l’une des quelques femmes qui ont épousé des Français avant l’arrivée des Filles du Roi en 1663, dont certaines ont plus d’un million de descendant.e.s vivant.e.s. Les recherches en démographie historique ont depuis longtemps démontré que les Franco-descendant.e.s partagent une grande proportion d’ancêtres de souche, ce qui s’explique en grande partie par la petite taille de la colonie française.
Mon objectif dans cette présentation est de montrer comment la grande disponibilité de données généalogiques remontant à des centaines d’années, combinée à la création et à la circulation au 20e siècle d’histoires de famille sur l’autochtonité, a conduit des dizaines de milliers de Franco-descendant.e.s dans des dizaines d’organisations à transformer leur identité. N’étant plus Québécois.e.s ou Acadien.ne.s, par exemple, ces personnes et ces organisations créent des histoires fantaisistes sur le passé qui les encouragent à contester publiquement la légitimité des véritables peuples autochtones. Le processus est si répandu que des centaines de Franco-descendant.e.s, pourtant blancs, occupent aujourd’hui des postes réservés aux Autochtones – comme « gardiens du savoir » dans les conseils scolaires, comme « aînés » dans les prisons et les pénitenciers, comme artistes « traditionnels » dans les arts visuels et du spectacle, comme bureaucrates dans les ministères provinciaux et fédéraux qui supervisent les initiatives autochtones et, bien sûr, comme professeurs dans les universités.