Résumé
Sophie Imbeault
Le 3 mai 1959, Radio-Canada diffuse un téléthéâtre à l’occasion de la béatification, le même jour, de Marguerite d’Youville, fondatrice de la Congrégation des sœurs de la Charité (Sœurs grises) au 18e siècle. La plus belle de céans présente sa vie de jeune fille et d’épouse. Ce qui devait être le clou d’un jour béni pour les catholiques a tôt fait d’exhaler un parfum de scandale. Pendant des semaines, les journaux publient des réactions de téléspectateurs, religieux comme laïcs, outrés. On reproche à Radio-Canada d’avoir présenté mère d’Youville « comme une païenne » et d’avoir montré « beaucoup de chair » dans ce qui constitue « une insulte au sens chrétien des téléspectateurs » ou « une entreprise de démolition de nos valeurs morales et nationales les plus authentiques ». Bientôt, tout le monde a son mot à dire sur le drame historique, même les politiques : Maurice Duplessis égratigne Radio-Canada, qui aurait « de beaucoup dépassé les bornes de la décence », tandis que son ministre Paul Dozois s’en prend aux « éléments gauchistes » qui chercheraient à « faire triompher une doctrine qui conduira peut-être un jour au communisme » (La Patrie et Le Devoir, 17 et 18 mai 1959). Résultat : l’autrice Charlotte Savary, le réalisateur Charles Dumas et l’actrice Dyne Mousso doivent s’expliquer, et Radio-Canada présente ses excuses aux Sœurs grises.
Est-ce là, comme le propose Gérald Fillion du Devoir, un bel exemple « des histoires de croque-mitaine de l’Union nationale et de son chef »? Un épiphénomène des mouvements de fond qui agitent le Québec en pleine transition? Sans doute. Mais, plus encore, il s’agit vraisemblablement d’une « tempête parfaite » pour nous permettre de mieux comprendre la difficile négociation du corps féminin dans l’espace public canadien-français, celui, entre autres, de la sainte, « incarné » par celui de l’actrice.