Résumé
Jean-Philippe Bernard
En 1932, en pleine Crise, la romancière Marie Le Franc se rend à la gare d’Ottawa pour accompagner un contingent de familles à destination de la nouvelle colonie de la Rivière solitaire, en Abitibi. Munie de son petit calepin et d’une grande dose de sympathie pour ces femmes et ces enfants s’en allant rejoindre leur mari, la romancière y recueillera avec maints détails des témoignages de cette expérience migratoire dans un style à cheval entre le journalisme d’enquête, l’analyse sociologique et la fiction.
Cette enquête, qui a inspiré les personnages et les lieux de son roman La rivière solitaire, nous dévoile un long et pénible voyage vers les colonies et une difficile adaptation à la vie pionnière, ce qui en amènera plusieurs à renoncer au projet et à s’en retourner « en bas ». À ce titre, l’œuvre phare de Le Franc transcende la fiction; la colonie, théâtre d’une misère inouïe et de taux élevés d’abandons, incarnera pour plusieurs l’échec de l’épopée du retour à la terre des années 1930.
J’entends tirer profit de cette proximité entre fiction et histoire dans le roman La rivière solitaire pour recomposer les angles morts du récit laissé par les archives. J’estime que les différentes étapes du parcours migratoire des protagonistes de l’œuvre de Le Franc peuvent contribuer à ancrer dans le vécu et l’expérience des déshérités cet épisode plus souvent abordé du point de vue des élites. Par cette approche quelque peu originale, j’espère mesurer combien elle peut se révéler féconde pour tracer un récit plus humain, plus sensible, de cette histoire.